Connect with us
Musique

“Idées noires” de Bernard Lavilliers : quand les ténèbres deviennent musique

Publié , il y a :

le

Auteur :

Le chanteur français Bernard Lavilliers sur scène le Landaoudec lors du festival du bout du Monde à Crozon dans le Finistère le 6 août 2011

Il y a des chansons qui naissent de la lumière, et d’autres de la nuit. “Idées noires”, sortie en 1983, appartient à cette seconde catégorie : une chanson d’ombre, écrite dans un moment de vacillement, où tout semble basculer. Bernard Lavilliers y dépose sa voix grave, râpeuse, empreinte d’un désenchantement presque animal. En face, Nicoletta lui répond, comme un souffle venu du fond du monde, une femme qui console, ou peut-être une conscience qui murmure dans le noir.

La genèse d’une chanson en clair-obscur

Nous sommes au début des années 1980. Lavilliers sort d’une période de doute. L’époque est morose, l’économie s’essouffle, le monde tremble encore des répliques de la guerre froide. Dans ce climat tendu, le chanteur écrit Idées noires, un texte hanté par la fatigue, la désillusion, la solitude. C’est une chanson de fin de nuit, de fin du monde peut-être.

Mais à l’enregistrement, quelque chose manque. La voix féminine qu’il avait imaginée, celle d’un écho, d’une ombre douce, n’est pas encore là. Une première tentative échoue. Alors, le producteur Richard Marsan pense à Nicoletta. L’idée paraît improbable : elle, l’icône de Mamy Blue, cette voix de feu et de gospel, face à Lavilliers, le baroudeur au regard d’acier. Et pourtant.

Nicoletta accepte de venir, presque sur un coup de tête. Trois heures suffisent pour sceller l’un des duos les plus marquants de la chanson française. Elle module sa voix, la retient, l’enroule autour de celle de Lavilliers. Ensemble, ils créent une tension, un fil électrique entre la mélancolie et la ferveur, la chair et le silence.

1983 : quand la noirceur devient or

Le titre paraît au printemps 1983 sur l’album État d’urgence, sous le label Barclay. Sur la face B du 45 tours, un autre morceau, “Vegas”. Mais c’est “Idées noires” qui explose. Paradoxalement, cette chanson sombre, presque suicidaire, devient un succès. Elle grimpe dans les classements, se hisse à la 15ᵉ place du Top 50 français et jusqu’à la 7ᵉ au Québec.

Le public y reconnaît quelque chose de viscéral. Ce n’est pas une chanson à fredonner, mais à traverser. Elle dit le vide, la peur de l’avenir, la lassitude et c’est précisément ce qui touche. Le refrain, murmuré plus que chanté, sonne comme une prière perdue :

“Où es-tu, quand tu es dans mes bras ?
Que fais-tu, est-ce que tu penses à moi ?
D’où viens-tu ? Un jour tu partiras
Où es-tu, quand tu es dans mes bras ?”

Paroles de la chanson “Idées noires” interprétée par Bernard Lavilliers et Nicoletta

Il se lève, c’est l’heure, écrase son mégot
Dans sa tasse de café, éteint la stéréo
Eteint le lampadaire, éteint le plafonnier
Eteint dans la cuisine, met la sécurité

Couloir
Une porte
Un lit
C’est la nuit
Quelques pills pour dormir, je n’sais plus où je suis

Store noir
Une porte
Un lit
C’est l’ennui
Rien à faire pour l’amour, mais ne dis pas toujours

Où es-tu, quand tu es dans mes bras ?
Que fais-tu, est-ce que tu penses à moi ?
D’où viens-tu ? Un jour tu partiras
Où es-tu, quand tu es dans mes bras ?

Je fais des mauvais rêves, j’suis sur un mauvais câble
Dans la paranoïa, pas de marchand de sable
J’vois en panoramique urgente et désirable
Une blonde décapitée dans sa décapotable

Cauchemar
Highway
Bad trip
Fumée noire
Une vamp vorace tue au fond d’un couloir

J’en sors pas
Cafard
Bad trip
Idées noires
Avalé par l’espace au fond d’un entonnoir

J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras
J’veux m’enfuir, est-ce que tu rêves de moi
J’veux m’enfuir, tu ne penses qu’à toi
J’veux m’enfuir, tout seul tu finiras

J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras
J’veux m’enfuir, est-ce que tu rêves de moi
J’veux m’enfuir, tu ne penses qu’à toi
J’veux m’enfuir, tout seul tu finiras

J’veux m’enfuir, j’veux partir, j’veux d’l’amour, du plaisir
D’la folie, du désir, j’veux pleurer et j’veux rire
J’veux m’enfuir, j’veux partir, j’veux d’l’amour, du plaisir
D’la folie, du désir, j’veux pleurer et j’veux rire

J’veux m’enfuir, j’veux partir, j’veux d’l’amour, du plaisir
D’la folie, du désir, j’veux pleurer et j’veux rire

J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras
J’veux m’enfuir, est-ce que tu rêves de moi
J’veux m’enfuir, tu ne penses qu’à toi
J’veux m’enfuir, tout seul tu finiras

J’veux m’enfuir, quand tu es dans mes bras
J’veux m’enfuir, est-ce que tu rêves de moi
J’veux m’enfuir, tu ne penses qu’à toi
J’veux m’enfuir, tout seul tu finiras…

Le succès du morceau éclipsera presque l’album État d’urgence, au grand dam de Lavilliers, qui supporte mal d’être réduit à “la chanson du duo”. Il refuse plusieurs invitations télévisées pour ne pas la galvauder. Nicoletta, de son côté, ne la chantera jamais sur scène, par respect pour son intensité. Ce morceau, dit-elle, “n’appartient pas au spectacle”.

Un duo incandescent

Ce qui fascine dans Idées noires, c’est cette dualité vocale. Lavilliers et Nicoletta ne se parlent pas vraiment : ils s’affrontent, s’attirent, se craignent. Lui, la voix des bas-fonds, rauque, fatiguée. Elle, le cri contenu, presque mystique, qui perce le brouillard. On dirait un combat amoureux entre deux êtres blessés, deux âmes en chute libre.

Le morceau fonctionne comme un miroir. La voix masculine s’enfonce, la voix féminine relève. Le désespoir dialogue avec la foi. À chaque mesure, un équilibre fragile se crée : un tango entre le plomb et l’or.

Nicoletta ne prendra jamais un centime pour cette collaboration. Elle dira plus tard : “Je ne voulais pas être payée. Ce n’était pas un contrat, c’était un instant.” Un instant, oui, mais un instant d’éternité.

L’écho du temps

Trente ans plus tard, en 2014, Lavilliers réenregistre Idées noires en duo avec Catherine Ringer, autre voix incandescente, pour l’album Baron samedi. Cette nouvelle version, plus épurée, moins dramatique, redonne au texte une dimension introspective, presque murmurée. Elle ne cherche pas à remplacer l’original, mais à lui rendre hommage.

Pourtant, c’est bien la version de 1983 qui demeure dans la mémoire collective : celle où deux univers que tout oppose se rejoignent dans la pénombre d’un studio. Une chanson sans âge, qui traverse les décennies comme un miroir de nos propres doutes.

Au fond la lumière

“Idées noires” n’est pas seulement une chanson : c’est une confession mise en musique. Une descente dans la mélancolie, un face-à-face avec soi-même. Lavilliers y explore ses fissures, et Nicoletta en éclaire les contours. Ensemble, ils composent un poème noir et incandescent, où la détresse devient beauté, où la nuit devient chant.

On dit parfois que certaines chansons contiennent plus de vérité qu’un roman. Idées noires en fait partie. Parce qu’elle ne raconte pas, elle ressent. Parce qu’elle ne cherche pas à plaire, mais à dire. Et parce qu’au fond, dans les idées noires de Lavilliers, il y avait déjà un peu de lumière.

Crédit photo : TheSupermat© - Bernard Lavilliers sur la scène Landaoudec lors du festival du bout du Monde à Crozon dans le Finistère - 6 août 2011.
Philippe Pillon

Créateur de MonsieurVintage, Philippe est un passionné de belles mécaniques, de voyages et d’objets qui ont une âme. À travers son regard, chaque moto, voiture ou destination raconte une histoire, dans une quête d’authenticité et d’élégance intemporelle.

Ajouter mon commentaire !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *



Tendance
Monsieur Vintage
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.