Art
Rencontre avec le dessinateur Alex Varenne
A l’occasion de la sortie de son nouveau livre « Tondi » aux Editions Zanpano et l’arrivée imminente d’une nouvelle BD dans les bacs : « Dolly Doll » édité par Blue Lotus Prod, nous avons voulu rencontrer le dessinateur et peintre Alex Varenne, roi de la BD érotique et amoureux des femmes.
Alex Varenne a fait ses études secondaires à Lyon, avant de monter sur Paris pour intégrer Claude Bernard et devenir enseignant. D’abord dessinateur sur une première BD lancée avec son frère Daniel : Ardeur, le succès est assez vite au rendez-vous. Bifurquant vers la BD érotique, Alex Varenne rencontre un succès de plus en plus grandissant, faisant de l’érotisme léché sa spécialité.
Il se tourne ensuite vers la peinture sans jamais oublier ses premières amours; le dessin et les femmes. Talentueux, l’artiste sublime la femme et tout ce qu’elle a de désirable, mettant en exergue nos fantasmes les plus profonds dans un trait de crayon délicat, pour décrire souvent des situations assez crues.
Un nouveau livre en librairie et une BD qui va sortir d’ici la fin janvier, deux occasions de rencontrer un des maîtres de l’érotisme, dans son atelir du 5e arrondissement parisien.
Alex Varenne, vous avez fait vos études de dessin à Lyon
Non, Lyon c’était jusqu’au Bac. J’ai ensuite passé le concours de l’école Claude Bernard, école supérieure de dessin qui préparait au professorat de dessin. J’ai réussi le concours et fait mes études de dessin à Paris.
La démarche était d’abord d’enseigner ou de dessiner ?
Je voulais dessiner, mais mon père me disait « tu ne gagneras pas ta vie avec ça », je me suis donc retrouvé prof de dessin. Dans le dessin on ne gagne pas sa vie comme ça tout de suite, l’enseignement est une sécurité. Je ne voulais pas galérer.
Vous sortez votre 1ère BD en 1979. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?
En tant qu’enseignant je faisais surtout de la peinture. J’exposais en galerie mais je ne vendais pas beaucoup. En 68, j’ai découvert la BD pour adultes. Entre autres avec Jean-Claude Forest (créateur de Barbarela, inspirée de Brigitte Bardot). Je me suis dit « c’est un sacré moyen d’expression la BD, y’a du texte, des dessins, on peut faire passer des choses ». Alors je me suis dit « je me lance, je vais essayer! » et j’ai préparé ma première BD que j’ai présentée aux Editions Losfeld.
Ça devait être en 1972, il était d’accord, tout était prévu mais l’éditeur a dû déposer son bilan, en raison de censures avec Emmanuelle etc.
Donc ma 1ère BD n’a pas été éditée. J’ai fait une seconde BD que j’ai présentée mais dont personne n’a voulue. En 1977 je sors une 3e BD, personne n’en voulait, sauf les Editions du Square avec Charlie Hebdo et Wolinski qui m’a reçu.
Wolinski m’a dit « tu as présenté ta BD à d’autres éditeurs ? » « Oui j’ai tout fait; Casterman, Dupuis, Dargaud, Les Humanos » ai-je répondu. Wolinski m’a regardé et il m’a dit : « Eh bah nous, on a de la chance« .
Je suis passé dans Charlie Mensuel pendant plusieurs années.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de dessiner ?
C’est le fait que la BD est un moyen d’expression. Gamin on m’empêchait de parler, ma mère était une pipelette donc quand on me posait une question elle répondait à ma place. Après, je suis allé en pension, où là aussi on ne pouvait pas parler.
Je me suis donc tourné vers le dessin pour m’exprimer. J’ai commencé par dessiner mes petites amies.
Mais vous dessiniez bien déjà à cette époque ? Le dessin est-il un don ?
Je crois que c’est un plaisir qu’on a à dessiner, mais à force de dessiner on progresse. Je ne crois pas tellement au don. Je crois en revanche au plaisir de dessiner et au moyen d’expression du dessin.
Après, pour les copains, j’étais le gars qui dessinait bien, ça donne une identité. J’ai jamais arrêté de dessiner c’est devenu une drogue. Si je reste 2/3 jours sans dessiner je débande quoi.
Quel a été votre modèle ?
Je n’ai pas été formé par la BD. J’ai fait une école de dessin, beaucoup d’Histoire de l’Art, c’était une bonne formation avec de bons profs et on dessinait du matin au soir. Pour les modèles c’était ceux de l’Histoire de l’Art.
Ce n’est pas la BD qui m’a influencé pour le dessin.
La BD érotique n’est pas venue tout de suite, puisque vous avez débuté avec « Ardeur », qui était plus de la Science-Fiction.
Oui c’est ça, c’était une série SF sur la 3e guerre mondiale. A cette époque c’était la guerre froide et il y avait une angoisse de la guerre atomique. La BD érotique est venue après.
Avec mon frère Daniel (Avec qui Alex Varenne a réalisé la BD « Ardeur » ndlr) je lui disais « tout ça ne correspond pas à ma vie intime ». J’avais une vie érotique assez chargée, je ne vois pas pourquoi je ne traduirais pas mes émotions dans mes dessins. J’ai fait un polar avec mon frère, mais pour faire un bon polar il faut être truand ou policier, moi je fabriquais, alors que l’érotisme, je connaissais bien.
C’est Wolinski qui m’avait dit « tu dessines vachement bien les femmes, je ne vois pas pourquoi tu ne ferais pas de BD érotique ! » Et la première BD érotique que j’ai faite s’est vendue 3 fois plus, parce que j’étais dans mon élément. A l’époque, la BD érotique était mieux reçue, exposée en vitrine et mise en avant. Aujourd’hui, elle est en retrait, on est en plein puritanisme, les années 70 et la libération sexuelle, c’est terminé. Puis le sida est passé par là. C’était après la pilule et avant le sida, une sexualité très libérée qui correspondait bien aux BD que je faisais.
L’érotisme il est partout, la publicité est érotique, mais une BD érotique il faut la mettre sous cellophane. Il y a également de l’autocensure de la part des libraires. Mais moi c’était plus pour dessiner des femmes que de faire de la BD érotique.
Vous écrivez sur votre site : « J’ai été conçu par un acte hautement pornographique ». Et l’amour dans tout ça ?
Ah bah au moment où j’ai été conçu mes parents devaient s’aimer, mais si ma conception avait été filmée ça aurait été un film porno. Pour moi l’acte sexuel est pornographique, si vous le filmez et visionnez, c’est du porno.
En juin 2014 vous sortez « La molécule du désir » juste après « Hot Dreams » et une période de peinture, qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir à la BD ?
Après une séance de peinture, j’aime bien faire une séquence de BD, mais pas les deux en même temps. Je faisais également 5 pages d’histoires chaque mois pour le magazine UNION, ça a duré 5 ans.
Il y a « la molécule du désir » de Varenne, « le Déclic » de Manara. Pensez-vous que la quête d’une libido multipliée chez la femme soit une recherche permanente chez l’homme ?
Ça permet surtout d’avoir des actes érotiques dans n’importe quel lieu. C’est l’impromptu de l’amour et du désir, qui amène à faire l’amour dans tous types de lieux et quand on le veut.
Combien de BD avez-vous dessinez ?
Avec les livres un peu plus de 35 quand même.
Peut-on vivre de la BD aujourd’hui en France ?
Oui on peut vivre de la BD, mais pas tout de suite. Il est rare qu’un 1er album fasse des ventes exceptionnelles. Il faut vendre au moins 5 000 ventes sur une BD et au-delà de 10 000. A mon époque il y avait des magazines qui nous publiaient et nous payaient pour ça.
Aujourd’hui il n’y a pratiquement plus ces magazines qui aidaient financièrement. Mais pour un jeune dessinateur c’est quand même dur.
L’utilisation d’un dessin est-il soumis au droit d’auteur ?
Une image ça passe, c’est considéré comme une citation de texte, il ne faut pas reproduire de BD c’est tout.
Fin des années 60 vous partez enseigner en Martinique, au Lycée de Fort De France, pourquoi ce choix ?
J’ai fait ça pour échapper au service militaire. J’ai voulu faire Volontaire Aide Technique (VAT) au sein de l’armée, pour éviter la caserne. Je pouvais donc partir pour l’outre-mer, il y avait la Guadeloupe, Réunion, Martinique, St Pierre et Miquelon. J’ai été affecté comme professeur à Fort de France. J’y suis resté 5 ans, à la place des 2 ans prévus, parce que je m’y plaisais.
Vous dessinez très peu de femmes noires, pourquoi ?
Parce que sur une BD en noir et blanc, il est compliqué de dessiner des corps noirs. C’est uniquement pour ça.
Qu’est-ce qui vous a fait connaître ?
La série Ardeur a eu ses fans. Ce n’était pas des gros tirages mais on passait quand même 5000/6000 ex et il y a eu 6 numéros. Il y a eu ensuite ma 1ère BD érotique, on passait 20 000 et le début de la reconnaissance s’est fait là.
A l’époque de Ardeur, nous avions des prix avec mon frère, dès que je suis passé à l’érotique, terminé les prix.
En 1997 vous partez au Japon, pourquoi ?
Pour travailler. Les Editions Kodansha (plus gros éditeur de bande dessinée japonais) avaient fait appel à moi pour donner un ton nouveau aux mangas. Ils ont pris quelques dessinateurs français qui écrivaient dans leur magazine qui tirait à plus d’ 1 million d’exemplaires.
J’ai fait 2 bouquins de 300 pages pour eux. Au bout de 5 ans, les japonais ont vu comment on faisait des mangas à la française, ils n’avaient plus besoin de moi.
Le 13 novembre 2015 vous sortiez « Tondi » aux Editions Zanpano, un nouveau bouquin. Pourquoi « Tondi » ?
Parce que c’est le nom d’un format qui veut dire : tableau rond. Un Tondo, des Tondi, c’est le pluriel de Tondo. C’est vieux comme le monde, il y a des peintures romaines, ça date de l’Antiquité et ça a été repris à la Renaissance, Raphaël en a fait, Michel Ange également. Ça a ensuite disparu, il y en a des connus comme « Le Bain turc » qui est un tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres (conservé au Musée du Louvre à Paris ndlr).
En préface de votre bouquin, le réalisateur Laurent Bounike écrit : « Il ne faut pas vous y tromper, les femmes de Varenne sont vraies ». Vous ne travaillez qu’avec des modèles ?
Oui. Je prends beaucoup de photos en situation, je prends d’abord les photos, plus de 500 par modèle. J’ai besoin d’avoir toute leur gestuelle, comment elles fument, comment elles boivent etc…
Dans votre dernier livre « Tondi », il y a un dessin baptisé « Prostituée », qui est terrible. Pensez-vous que ce soit l’image réelle que les hommes ont de la prostitution ?
C’est bien dommage mais oui, c’est de la chair consommable. Je reconnais qu’il est violent mais la femme prostituée est un morceau de jambon que l’on consomme, mais cette violence était voulue.
Il y a également deux illustrations avec deux femmes asiatiques ; « China Girl » et « Fleur de Chine ». Belles couleurs, sourires, innocence et douceur mais quand on s’attarde sur vos dessins, on s’aperçoit que le sexe est omniprésent.
C’est ce qui fait le trouble de l’image, le sexe est discret. Il ne faut pas que le sexe soit trop évident.
Pour revenir à un sujet plus grave, il y a eu les attaques du 7 janvier à Charlie Hebdo. Comment avez-vous vécu ça en tant que dessinateur et ex-Charlie ?
Alex Varenne très ému : Très mal, encore plus mal que les attentats du 13 novembre, parce qu’à Charlie, j’ai 2 amis qui sont morts dont Wolinski qui était un ami très proche.
J’étais proche de Wolinski, il m’a mis le pied à l’étrier, on avait de l’estime l’un pour l’autre, on aimait la vie et les femmes tous les deux.
Vous parliez avec Wolinski de ce côté « corrosif » des dessins de Charlie ?
Pas spécialement, mais je conçois que certains dessins puissent déranger certaines personnes, mais j’ai toujours été d’accord avec l’esprit Charlie. J’ai travaillé pour eux et j’aimais cet esprit. Coluche venait souvent et prenait des notes, les vannes qui fusaient il les retenait. Il y avait également Eddy Mitchell, Gainsbourg mais également le clochard du coin.
Il y avait beaucoup d’autodérision et on riait de tout.
Vous revoyez les gens de Charlie Hebdo ?
Oui, je revois Willem, qui fait beaucoup de vernissages.
Avez-vous une prochaine BD de prévue ?
Oui, j’ai un gros pavé prévu en janvier, il s’appelle « Dolly Doll » et est édité par Blue Lotus Prod.C’est une BD érotique, plus scabreuse car c’est l’histoire d’une femme clonée qui s’échappe du laboratoire qui l’a créée. Elle est programmée pour la reproduction intensive, c’est une femme animale qui ne sait pas parler, elle s’évade et la BD raconte sa cavale, celle d’une nymphomane.
Il y a de la Science-Fiction et du sexe, ça parle de la science et des OGM. Une grosse entreprise modifie des animaux et cette femme qui n’aurait jamais dû s’échapper. Cette héroïne n’a aucun complexe avec le sexe, elle est programmée pour se reproduire, ce qui laisse beaucoup de possibilités en matière de dessins érotiques. C’est ludique, il y a beaucoup d’humour, c’est un peu comme un conte. C’est la véridique histoire d’une nymphomane, qui va sortir ces jours-ci.
Est-ce que vous êtes quelqu’un de vintage ?
Je dirais que je vis avec mon époque, mais ayant un vécu à mon âge qui a formé ma philosophie et mon style de vie. Je suis Darwinien et je m’adapte, je prends les bonnes choses dans le monde moderne mais avec des limites. Je ne veux pas devenir un internaute fou, je refuse d’avoir un téléphone portable parce que c’est une atteinte à ma liberté, et à ma vie privée. Je fais partie des privilégiés qui n’ont pas de mobile, car je n’aime pas être dérangé, ni tracé. De la même façon, je n’ai pas de voiture car c’est inutile sur Paris.
C’est comme les tablettes numériques pour le dessin, je refuse ça. J’ai des amis qui dessinent sur ordinateur, mais qui en reviennent. C’est le cas du dessinateur Liberator.
Si vous deviez rapporter un objet ou quelqu’un du passé, quel ou qui serait-il ?
Si j’avais un personnage à rencontrer aujourd’hui, ce serait Casanova, parce que j’adore sa vie et c’était un grand écrivain. Très bel écrivain hédoniste qui a bien vécu et talentueux.
Pour un objet je ne vois rien en particulier, ou un beau tableau de Caravage oui d’accord ou encore un beau nu de Titien.
Quelle période de votre vie avez-vous préférée ?
Je peux dire que j’ai été assez heureux toute ma vie, en dehors de la pension quand j’étais jeune.
Ce sont les femmes qui m’ont rendu heureux. Elles m’ont fait souffrir aussi, mais donné beaucoup de bonheur.
Quel regard les femmes portent sur vous, par rapport à votre travail ?
On peut faire de l’érotisme et que ça reste beau. J’ai des lectrices qui prétextent que l’album qu’elles achètent est pour leur petit copain, mais j’ai beaucoup de couples. Le dessin m’a beaucoup aidé pour séduire les femmes et trouver des modèles. Le rapport avec les femmes est donc plutôt bon.
Les femmes sont narcissiques et dès qu’on leur propose de faire leur portrait elles apprécient, d’autant qu’avec le dessin elles pensent que cela va être sublimé. Je n’ai jamais eu de problèmes avec les femmes, ni pour en trouver comme modèles. Je suis d’ailleurs ouvert à toutes les femmes sans aucune préférence quelque-soit leur style Je varie également beaucoup mes modèles, pour avoir des beautés inattendues, comme un modèle dont je suis tombé amoureux et dont j’ai tiré une BD : Lola. Manara (Lilo Manara, dessinateur italien auteur de la BD « Le déclic » ndlr) par exemple dessine la même femme.
Lola, c’est l’histoire de l’état amoureux, celui où l’on devient con, fébrile et jaloux, avec une dépendance totale à l’objet du désir. Cette fille était fascinante, cultivée, parlant plusieurs langues et avec un esprit redoutable.
Si on veut un original d’Alex Varenne, c’est possible ?
Ah oui bien sûr, il y a les expos, ou en passant directement par moi si quelqu’un est intéressé. Pas par mon site en revanche, ce n’est pas un site marchand. J’ai des acheteurs privés qui viennent dans mon atelier.
Pour en savoir plus sur Alex Varenne et ses oeuvres, vous pouvez vous rendre sur son site en cliquant directement sur ce lien.
Crédit Photo : Philippe Pillon© pour monsieurvintage.com et illustrations Alex Varenne©
Fondateur du site MONSIEUR VINTAGE le 14 février 2014, Philippe est issu de la presse écrite automobile : Auto Plus, Sport Auto, Auto Journal, Décision Auto, La Revue Automobile et La Centrale. Il collabore également au magazine EDGAR comme responsable de la rubrique auto/moto.
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