Life
Rencontre avec Denis Sire, dessinateur et rockeur
Dessinateur mais également rockeur, Denis Sire nous a reçus dans son atelier proche de Paris. Un rendez-vous exceptionnel et rare que nous avons voulu partager avec vous, que vous soyez fans de BD, de vieilles autos ou motos, de pin-up, d’aéronautique ou de Rock’n’Roll.
Charles Nungesser du crayon, Denis Sire possède la même passion que l’aviateur pour ce qu’il fait, avec un look qui n’appartient qu’à lui. Une « gueule » à la John Malkovich, des doigts en or et un phrasé posé, l’homme est plus à l’aise sur un pupitre à dessin que devant une caméra, comme il le dit lui-même.
Denis Sire vous avez 2 facettes, rockeur et dessinateur. En quelques mots, vous êtes qui ?
Je suis un dandy rock and roll et dessinateur raffiné, même si le profit n’est pas toujours au rendez-vous mais en tout les cas je me sens libre.
Depuis quand avez-vous le permis moto ?
En 1972. J’ai commencé par une moto Morini, c’est comme une drogue, une fois qu’on y a gouté on a du mal à s’en passer, parce que les sensations sont uniques, on fait corps avec la machine c’est génial. J’ai jamais eu de japonaise, sauf une qui m’a été offerte par un ami ; une Yamaha 900 Diversion.
Un cadeau qui a permis de m’échapper à une époque. Plus tard la mère de mon fils, pour la draguer je lui avais raconté mes frasques de motard, elle voulait m’interdire de moto. Depuis ce temps je les fais plus.
Ma période japonaise fût très courte, j’enchaîne sur BMWR 68, Aermacchi 350 Sprint, Harley Sporster 100 XLH, Duo Glide HD (avec lequel je n’ai jamais roulé), un BSAB31, Une Norton 350 Commando (équipée Fast Back), Café Racer HD (Fonte), Panther Model 100, Triumph TRW (Ex Police parisienne), BMWK 75. Puis une Buell M2 Cyclone (orange fusion) pour moi la jouissance sur 2 roues.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de dessiner ?
Dans mes souvenirs, j’ai toujours à peu près dessiné. Mon père était archi, ancien motard et il me racontait ses histoires de moto. Il a quand même eu une Indian Big Chief, venant du surplus américain de la guerre de 40. Passionné de mécanique, il faisait de la peinture donc dessiner pour moi était quelque chose de naturel. Et mes parents ne m’ont pas mis d’entrave de ce côté-là.
Heureusement parce qu’ils ont compris qu’une scolarité classique ne me correspondait pas.
Vous êtes originaire de Saint-Nazaire, votre arrivée à Paris date de quand ?
Nous sommes arrivés à Paris en 1962, j’avais 9 ans. L’arrivée à Paris pour moi a été dramatique, j’ai tout perdu en quittant Saint-Nazaire ; la maison, le chien, un caniche royal. J’étais tout petit, après on s’est retrouvé dans la partie haute de la rue Lepic, au 22 bis. Un 2 pièces. Nous qui avions un jardin là, j’avais pas le droit de sortir. Au bout de notre jardin, il y avait la mer, à Paris c’était une autre histoire. J’allais tout seul à l’école, la communale était juste à une rue à traverser. C’est là que j’ai commencé à me battre parce qu’à l’époque c’était « Breton tête de con.. », les p’tits Poulbot là euh pff, y’avait la pègre de Montmartre, l’OAS, une ambiance assez chaude quoi.
Après on est allé à Sceaux heureusement. On était dans une cité de réfugiés, une cité jardin, géniale. Avec le Parc de Sceaux dans les années 60 c’était super, c’était dément, encore à l’ancienne avec encore des fermes, la rue Houdan, la rue commerçante, il y avait encore des imprimeries, celles qui imprimaient Bibi et Fricotin, Les Pieds Nickelés.. Je faisais du patin à roulettes, du vélo, à 14 ans j’ai fait du Solex récupéré dans une cave. Je suis passé directement à la moto, il n’y a pas eu d’étape mobylette entre les deux.
J’ai acheté une Honda PC50, seule mob 4 temps, un moteur horizontal, je trouvais ça classe. Mon père m’avait dit « je veux bien que tu roules en mobylette mais tu te les achètes ».
La moto, elle revient souvent dans vos dessins, comme les voitures, les pin-up. Elle vient d’où cette passion du rétro ?
Quand je suis rentré en 1970 aux Arts Appliqués, alors que je découvrais Jimi Hendrix, Jim Morrison, ils meurent. Puis je m’intéresse aux Stones, et je découvre Eddie Cochran à la sortie d’une compilation, pour les 10 ans de sa mort.
Une pochette gris métallisé, j’écoute et je me dis : « C’est pas mal le Rock hein.. ».
Après, j’ai rencontré Frank Margerin, qui a fait les Arts Appliqués en même temps que moi, j’allais aux puces avec Los Crados, on commençait à former une bonne bande. Je faisais déjà de la BD, j’avais décidé ça à 11 ans parce que mon père m’achetait Spirou, j’avais toujours le Spirou ça m’a donné des idées.
Franquin c’était mon maître, j’ai réussi à le rencontrer et l’interviewer avant sa mort.
Pour en revenir au retour dans le passé, ce mélange et les puces ont fait que ce qui m’intéressait, ça venait du passé. Au bonheur des dames sortait, c’était génial, on a fait un concert avec eux sur la Place de la République en 81. Nous, on chantait le twist, c’est ce qu’il y avait de plus facile à chanter, ça m’arrangeait d’ailleurs j’étais super mauvais en anglais. On est passés de la touffe à la Hendrix, pour se couper les cheveux et se gominer.
A l’époque les nouveautés c’était Yes des groupes comme ça moi j’aimais pas trop alors je suis resté scotché dans le passé. Je viens de redécouvrir les Early Beatles (album américain des Beatles sorti le 22 mars 1965 ndlr), mais c’est du pur Rock’n’roll, les premières de la BBC c’est démentiel, McCartney chante super bien, comme sur Long Tall Sally.
Vous êtes quelqu’un de nostalgique ?
Je suis toujours sur le « c’était mieux avant ». La Coccinelle de Volkswagen, j’ai toujours préféré le premier modèle, la Corvette Chevrolet c’est pareil, la Stingray avec le Split window dément, les Mustang quand on voit comment elles ont évolué ça n’a rien plus rien à voir. Oui, c’était mieux avant.
Mon père me racontait ses histoires pendant la guerre, c’était fascinant, la presqu’île guérandaise. Mon grand-père Sire était ingénieur aux chantiers de l’Atlantique, il avait fait les essais du Normandie, mon père était un super conteur. La dedans je retrouve l’enfance de mes parents, celle de mes grands-parents.
Je m’intéresse également à l’histoire, celle des années 40 entre autres, d’où le malaise social français provient tout compte fait. Les années 30 sont très intéressantes, le Speed Twin Triumph, il date des années 30 on a rien inventé au fond.
Ces motos étaient des machineries parfaites, on s’en aperçoit quand on les dessine.
Est-ce que le passé a de l’avenir Denis Sire ?
Oui, moi je le pense. Il faut penser à éteindre les ordinateurs, se remettre à dessiner. Aujourd’hui toutes les voitures se ressemblent, parce qu’elles sortent d’un ordinateur qui a un fonctionnement binaire, faut pas l’oublier.
J’étais fan de Jim Hall et de ses Chaparral. Dans son atelier au Texas, ce type était tout seul, bien qu’il était descendant d’un pétrolier américain, il s’est retrouvé orphelin très vite. Il a commencé à courir sur les voitures des autres en disant « je vais améliorer ça et ça.. », il a fait des choses fabuleuses, ça fait partie de la beauté du passé.
Charlie Hebdo était attaqué le 7 janvier 2015. Nous avions demandé son ressenti à Christian Debarre (créateur du Joe Bar Team ndlr) lors d’une interview. Celui-ci nous avait répondu : « Quand on fourre son doigt dans le cul d’un pitbull, non seulement ça ne règle aucun problème, mais en plus on se fait étriper». Vous êtes d’accord avec ce point de vue par rapport au dessin ?
Bah ça a été dur. Je connaissais Wolinski, j’étais bien pote avec Cabu, je lui disais que c’était le meilleur dessinateur de Presse. J’étais très ami avec Willem (dessinateur satirique ndlr), qui heureusement détestait les réunions de rédaction, Willem qui est un génie.
Mais oui pff, la provocation c’est pas évident. Moi je n’ai jamais été dessinateur de Presse, je suis dans une autre démarche, ce qui m’intéresse c’est retrouver une âme, une culture, des détails du passé.
J’ai une culture artistique amenée en grande partie par mon père, qui m’emmenait beaucoup aux expos (mon musée préféré est la gare d’Orsay). Je me documente le plus possible, j’essaie de voir ce qui se passe avant/après. Il y a une préparation et un travail de recherche.
Pour Charlie, les gens présents s’inscrivaient dans une autre démarche.
Quand c’est arrivé, je n’arrivais plus à dessiner, je ne savais même pas quel texte publier sur Facebook, j’y pensais la nuit, j’étais effondré. Quand je suis allé à Nation à l’époque, je ne comprenais plus rien, les drapeaux français partout, je n’avais pas vu ça depuis la Coupe du Monde de football. Les gens se parlaient.
Votre trait de dessin est très fin et dynamique, comment travaillez-vous ?
Moi je suis fou, je taille mes mines 0,5 au cutter pour avoir une finesse. Elles sont déjà fines et je les taille davantage. Je ne peux plus faire ça à cause de mes yeux. Dans Zybline et Bettie (BD de Denis Sire éditée aux Humanoïdes associés ndlr), je suis arrivé à l’encre de chine, à l’extrême finesse. C’était au lavis et au pinceau.
Avec Bois Willys, on a influencé pas mal de gens, avec les américains également. Avec Will Eisner (auteur de BD américain ndlr) et Le Spirit (justicier masqué créé par l’auteur) c’était pareil. Je l’ai rencontré à Métal Hurlant, la première fois avec mon premier album.
Votre premier job c’était avec Métal Hurlant ?
Oui, y’avait Pilote aussi mais ça m’intéressait moins. Je faisais des concours de BD. A Pilote, ils m’avaient demandé de laisser mon carton en disant « on vous écrira ». Je suis parti, j’ai réfléchit et je suis revenu chercher mon carton. Métal Hurlant, ça ne ressemblait à aucune revue, y’avait Charlie mensuel mais il y avait peu de dessinateurs.
Bois Willys, c’est une référence à la pin-up Betty Page non ?
J’ai découvert Betty Page par l’intermédiaire de Jean-Pierre Dionnet et ça a été une histoire d’amour intemporelle. Elle a été aussi la muse de Dave Stevens.
Dans votre parcours artistique, s’il y avait quelque chose à changer, ce serait quoi ?
Mieux m’entourer. Je me suis déjà fait entuber, par tous les galeristes notamment, maintenant c’est « laissez-moi ». Tout seul c’est plutôt dur, d’autant que je ne sais pas me vendre.
Vous êtes édités par Zanpano Editions, y a-t-il un projet de BD chez eux ?
Non, pas de Bande-dessinée, un Tome 3 de Poupées de Sire et puis voilà.
Vous travaillez à la demande ?
Oui, je travaille en ce moment avec Vincent Marquis pour la marque de pneus Continental, mais c’est une autre approche. Il y a des délais, plus de contraintes, une commande reste une commande.
Vous n’avez jamais pensé à travailler dans le design ?
Non, ça ne m’a jamais attiré. Je suis un admiratif du travail des autres, je préfère retranscrire.
Travaillez-vous sur d’autres supports que le papier ?
Non, j’ai eu des propositions pour des voitures, je ne vois pas trop l’intérêt, je veux bien la désigner au point de vue ligne, motifs comme des flammes, mais ce qu’a fait Alexander Calder sur la Bmw au Mans c’est génial mais ça s’y prêtait. Calder il n’est pas figuratif et ce serait plus dans ce sens que je travaillerais.
Vous n’avez jamais eu envie de reformer un groupe de Rock ?
Si, on a qu’une envie, c’est remonter sur scène. Mais bon, y’a eu la mort de Schultz l’année dernière (du groupe de Punk/Rock Parabellum ndlr), ça m’a un peu coupé les ailes. Et puis, il y a l’alcool, la drogue tu te dis « qu’est-ce que je fais ? Je fais avec, je fais sans ? ».
Quand on regarde l’histoire du Rock tout ça est lié, c’est la même chose pour les bluesmen, ils boivent, il leur manque des doigts mais ils sont défoncés et continuent et jouent toujours.
Il y a le temps aussi, tu ne peux pas faire tout à la fois ; une vie de famille, le dessin, la musique, la moto. Ça fait beaucoup. Quand j’étais avec Dennis Twist, je n’arrivais pas à faire de bande-dessinée, parce que quand on dessine il y a une immersion qui doit se faire.
C’est vous qui avez créé le groupe Dennis’ Twist ?
Je l’ai créé avec Manœuvre (Philippe Manœuvre ndlr). On a d’abord créé le Denis Sire Quartet, pur groupe de Rock dont je suis très fier. J’ai encore le CD. Y’avait une émission de Philippe Manœuvre sur France Inter « Les grandes Manœuvre », on jouait en direct purée, comme ça envoyait !
Moi je voulais qu’on soit à l’anglaise, tout le monde payé pareil, auteurs, musiciens etc. … J’ai vécu le Rock à fond, mais ça n’a pas plu à tout le monde.
Votre actualité c’est quoi ?
Il y a une commande pour Continental sur laquelle je travaille, sur l’origine de Renault, les deux sont liés. J’en ai une autre à faire, j’ai une demande de la part du Bmw Museum de Washington.
Est-ce qu’il y a un dessin que vous regrettez avoir fait ?
C’est difficile à dire. Comme ça, rien ne me vient. Les regrets, ils sont plus par rapport aux pertes d’originaux et aux vols, il y en a eu beaucoup. Un aux Etats-Unis notamment, quand je travaillais pour Heavy Metal : un poster que je devais aller chercher à New-York. J’ai retrouvé l’original à vendre chez un de mes galeristes, il l’avait acheté dans une Comics Convention ! Un autre en revenant de Rome où j’ai laissé un carton entier sur Harley-Davidson pour qui je travaillais. Mais la perte, c’est encore plus idiot, plus rageant.
Pour vos dessins de Pin-Up vous travaillez avec des modèles ?
J’avais dessiné la femme du boss d’Heavy Metal, mais ça dépend.
Aujourd’hui, si on veut un original de Denis Sire on fait comment ?
Il y a des expos que je fais parfois, mais je ne vends pas en direct, je ne marchande pas non plus il vaut mieux passer par ma maison d’Edition.
Quels sont vos albums disponibles ?
Denis Sire aux Editions Nickel Chrome
L’île des Amazones chez Albin Michel
Lisa Bay l’Heritage
Baron d’Holbach Volume 2 aux Editions Zampano
Poupées de Sire aux Editions Zampano
Douze Pilotes aux Editions Air Libre
Vous avez dessiné des avions également ?
Oui, j’en ai fait pour l’arrêt de 6T Melodie, j’ai dessiné des vieux Messerschmitt mon avion préféré, des Jets. Aujourd’hui c’est la grande mode ça l’aéronautique, j’ai dessiné les Crusader de la Royale française qu’on voyait passer en Bretagne et pas mal d’autres.
Interview réalisée le 20 12 2015 par Philippe Pillon pour monsieurvintage.com – Crédit photo : monsieurvintage.com – Oeuvres de Denis Sire avec son aimable autorisation
Galerie d’images monsieurvintage.com – oeuvres de Denis Sire
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Fondateur du site MONSIEUR VINTAGE le 14 février 2014, Philippe est issu de la presse écrite automobile : Auto Plus, Sport Auto, Auto Journal, Décision Auto, La Revue Automobile et La Centrale. Il collabore également au magazine EDGAR comme responsable de la rubrique auto/moto.
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Eric
26/12/2015 at 23h13
Excellent article. Très bonne interview d’un personnage qui ne donne qu’une envie : en savoir encore un peu plus sur lui.
Philippe Pillon
27/12/2015 at 2h18
Merci pour votre commentaire Eric. Nous aurons l’occasion de reparler de Denis Sire d’autant que l’artiste possède différentes facettes et un talent indéniable.