Art
L'interview de Christian Debarre, créateur de la BD "Joe Bar Team"
Christian Debarre alias Bar2 alias Chris Deb, daron discret des motards les plus azimutés de la bande dessinée française : le Joe Bar Team, a accepté de répondre à nos questions. Un honneur pour les motards usés que nous sommes, témoins vivants d’une époque routière révolue.
Lancée en 1990, le « Joe Bar Team » fête cette année ses 25 ans. Ça valait bien un coup d’œil dans l’rétro et une rencontre avec son créateur, le trop discret Christian Debarre que nous avons eu l’occasion de côtoyer à plusieurs reprises.
Bar2, des comme lui y’en a plus, ou presque. Mélange de Renaud, Franquin et Barry Sheene, Ce dessinateur de génie manie aussi bien la langue française que le dessin ! Trop humble pour le reconnaître, nous avons voulu au travers de cette interview et des 25 piges du Joe Bar rendre hommage au personnage et à son œuvre, connue de tout motard qui se respecte.
Christian en tant que papa des motards les plus perchés de la BD française, es-tu fier de tes enfants ?
Oui, bien sûr, la popularité qu’ils ont connue m’a fait chaud au coeur. C’était le but ! Et il n’était pas si simple, finalement, de rendre sympathiques une bande de trompe-la-mort, cons comme des manches, fourbes et peu loyaux entre eux. Et le plus surprenant, c’est que de nombreux motards se soient reconnus en eux. Comme quoi, le motard porté sur l’arsouille doit avoir le fond mauvais…
Tu as créé le Joe Bar Team en 1990, puis laissé tomber les crayons pour les tomes 2/3/4 avant de revenir au dessin pour le tome 5, puis le tome 8 paru en 2014 et réalisé avec Stéphane Deteindre, alias Fane. Tu ne serais pas un peu cossard Christian ?
A la fois cossard et bourreau de travail. Un boulot qui m’ennuie, ou que je ne m’estime en mesure de réaliser parfaitement, ne m’incite pas à me retrousser les manches, c’est vrai. Il y 12 ans, je n’ai pas pu finir le tome 5 du JBT parce que, malgré tous mes efforts, mon dessin restait très en dessous de ce que j’aurais souhaité. Et j’ai abandonné la BD à ce moment précis. Mais quand un projet me passionne et que je prends plaisir à m’y atteler, je peux bosser dessus quasiment non stop, des années durant, sans jamais me lasser. Et aujourd’hui ça concerne surtout l’écriture.
Le 10 janvier 2013 tu publiais « Chroniques du Joe Bar », un bouquin préfacé par Bertrand Thiebault qui relate sans dessin les périples des personnages du Joe Bar. Prévois-tu un autre livre ?
La maison d’édition qui publiait ce bouquin a fait faillite deux mois après sa sortie. Pas à cause de moi j’espère. Le groupe Glénat, qui détient les droits d’exploitation de ma BD, a racheté le catalogue de cette société, dont mes « Chroniques », qu’il a réédité sous le label Vents d’Ouest. Au passage, j’en ai profité pour réécrire certains passages que je trouvais maladroits. Mais devant le peu de succès qu’a rencontré ce recueil de nouvelles, il y a peu de chances pour qu’il y ait une suite. Tu comprends, je bosse davantage dans l’espoir de faire plaisir à mes lecteurs que pour me faire plaisir à moi-même, et si mon boulot les laisse froids, je n’insiste pas. Autant dire que je n’ai rien d’un artiste.
Y-a-t-il un tome 9 de la BD en préparation ? Si oui, en seras-tu ?
Oui, un tome 9 est dans les tuyaux. Pat Perna, le scénariste du tome 7, a déjà pondu une grande partie des gags, mais nous n’avons toujours pas trouvé de dessinateur apte à les mettre en images.
A une époque où l’on prévoit de libérer la puissance des gros cubes dès 2016, tout en durcissant la répression routière, quel regard portes-tu sur la moto au XXIe siècle ?
J’avoue ne pas y avoir beaucoup réfléchi. Mais il me paraît évident que l’obsession de la sécurité qui anime, me semble-t-il, depuis quelque temps, nos dirigeants ainsi que la majeure partie de la population, cadre mal avec la pratique du deux-roues motorisé. Nos sociétés modernes m’ont l’air d’être devenues totalement allergiques à toute forme de danger, or, qu’on le veuille ou non, circuler en moto n’est pas exempt de risques, loin s’en faut. A quoi cela aboutira, je l’ignore, mais je ne serais pas outrageusement surpris si j’apprenais que, dans quelques décennies, la moto soit purement et simplement interdite dans certains pays. Comme je ne serais pas étonné que, à terme, on ne puisse plus consommer d’alcool dans les cafés.
L’arsouille est-ce que ça se calme un jour ?
J’imagine que chacun a sa réponse. J’en connais certains autour de moi qui ne désarment pas. Pour ma part, je ne roule plus en moto depuis longtemps, le problème est donc réglé. Mais peut-être que si je reprenais le guidon, ça ressurgirait. Sûrement même.
Le vintage s’est installé comme une mode depuis 10 ans, puis comme un nouveau mode de vie. Le secteur de la moto est le plus touché par ce phénomène avec le retour de réplicas et des prépas à gogo, que penses-tu de ce retour en arrière ?
Je le trouve assez logique. Les motos modernes sont, certes, de formidables outils à rouler, d’une efficacité époustouflante, mais à moins d’emmancher comme un trompe-la-mort, on s’emmerde un peu à leur guidon. Et puis elles sont moches. Comme les bagnoles, du reste. D’ailleurs, tu noteras que, au-delà des préparateurs dont tu parles, qui cultivent le vintage, le cinéma et la publicité semblent avoir un net penchant pour les véhicules rétro, autos ou motos. Sans doute les trouvent-ils plus sympathiques et plus nobles, plus esthétiques, plus sensuels ou pittoresques que les engins d’aujourd’hui, et je ne peux que leur donner raison.
Christian Debarre aujourd’hui, il serait plutôt Kawasaki H2R, Moto Guzzi Griso 1200 ou un vieux Tomcat Kawa de 1988 ?
Pour être franc, aucune de ces motos ne me fait palpiter. Peut-être la Kawa, sur circuit… Mais esthétiquement, rien ne me plaît dans la production actuelle. Sur ce point, à mes yeux, la beauté mécanique s’arrête au début/milieu des 70’s. Le plastique, notamment, a fait beaucoup de mal aux engins à moteur. Et que dire des écoles de designers !
Quand on a connu comme toi l’époque de la poignée dans l’coin et les radars inexistants, peut-on encore trouver de l’intérêt à se payer une moto aujourd’hui ?
Je crois que oui. N’oublie pas que l’immense majorité des utilisateurs de 2-roues est citadine ou banlieusarde, et roule avant tout sur ces engins pour ne pas être otages des bouchons. Or, dans ces conditions, il est rarement question d’essorage de poignée. Et même sans ça, virevolter entre deux virolos sur des petites routes de cambrousse, ça reste quand même très marrant, même à allure modérée. Il n’y a guère que les pures sportives qui, hors circuits, n’ont leur place nulle part. Enfin… si on se résigne à les utiliser dans un cadre légal, bien entendu.
A notre dernière rencontre tu évoquais un projet d’adaptation cinéma du Joe Bar, est-ce toujours dans les tuyaux ?
Toujours. Je ne suis pas très optimiste quant à l’avenir de ce projet, mais je n’ai pas désarmé pour autant.
Tu roules toujours dans ton vieux « Cherokee » des années 90 ?
Oui, mais peut-être plus pour longtemps. Outre ce qu’il me coûte en carburant, il ne se passe plus deux mois sans qu’un truc tombe en panne. Pas le moteur, qui est indestructible, mais tout le reste vieillit mal, et les pièces coûtent une fortune.
Quelle est ton actualité Christian ?
Avec mon éditeur et différents intervenants, j’orchestre comme je peux tout ce qui tourne autour du Joe bar, publications d’albums ou de bouquins sous label JBT, merchandising. Et je continue de bosser sur l’adaptation du tome 1 pour le cinéma. Et puis je cherche un éditeur pour un recueil de contes que j’ai écrit, « Contes navrants et dégoûtants », et qu’il me reste à illustrer. Sans en trouver le courage pour l’instant.
Dernière question à propos de ce qui s’est passé en janvier 2015 avec l’attentat de Charlie Hebdo : tu as vécu ça comment ?
Très mal, d’autant plus que je vénérais Cabu. A ce sujet, résumer, comme l’ont fait les médias après le drame, ce génie du dessin qu’était Cabu à un simple dessinateur satyrique me paraît très réducteur, pour ne pas dire limite méprisant.
Cabu, c’était surtout un géant dans son domaine, un des plus grands dessinateurs de tous les temps, pas juste un dessinateur satyrique, et sa disparition est une perte immense pour notre pays et pour tout le monde de l’art. Je ne décolère pas depuis cet évènement. A la fois contre les crétins sanguinaires qui l’ont assassiné, et contre les crétins de tout bord qui, d’une certaine manière, par lâcheté, cécité ou mépris, ont créé ces débiles sanguinaires. C’est-à-dire un peu nous tous. Et aussi un peu contre la rédaction de Charlie qui, pour héroïque qu’elle soit, ne s’y est peut-être pas très bien pris pour condamner le jihad. « Droit de rire de tout » ou pas, quand on fourre son doigt dans le cul d’un pitbull, non seulement ça ne règle aucun problème, non seulement ça n’éduque pas le molosse, mais en plus on se fait étriper, c’est la bête et cruelle loi de la nature. Dans le même ordre d’idée, et sans faire de parallèle scabreux, dans « l’Enquête corse », un Parisien demande à un Corse au faciès peu engageant : « On a le droit de se moquer des Corses ? » L’autre le fixe d’un œil dur et répond : « Oui. On a le droit. Mais faut pas le faire. »
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Crédit photo : Philippe Pillon©
Fondateur du site MONSIEUR VINTAGE le 14 février 2014, Philippe est issu de la presse écrite automobile : Auto Plus, Sport Auto, Auto Journal, Décision Auto, La Revue Automobile et La Centrale. Il collabore également au magazine EDGAR comme responsable de la rubrique auto/moto.
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Delaume
29/06/2015 at 22h17
Bonsoir Philippe.
Bel article qui m’a fait découvrir quelqu’un… de bien… ce qui est rare de nos jours…!
Bien à vous.
Philippe Pillon
29/06/2015 at 23h24
Tout le monde ou presque connaît le « Joe Bar Team » Dominique, on connaît moins l’auteur, qui comme tous les « grands » reste tapi dans l’ombre. Un personnage attachant, aussi discret que talentueux.
PENONE
24/11/2016 at 10h51
Monsieur Christian DEBARRE, au nom de tout les fan de BD, le seul qui soit capable d’illustrer vraiment magistralement le Joe Bar Team..; C’est TOI! N’abandonne pas, remets toi en selle, le crayon en coin et GAAAAZ!! On a déjà perdu Coyote, un autre génie de la BD, alors n’abandonne pas, s’il te plait dessine nous du JBT et puisque c’est ton leitmotiv… fais nous plaisir!!! En espérant que tu puisses lire ces quelques lignes
vergès
03/01/2018 at 16h18
Bonjour,comment contacter Christian Debarre ? Je m’explique: je suis motard depuis les années 79/80 et j’ai possédé pas mal de bécanes…j’ai 58ans et quelques histoires rigolotes à raconter (elles sont courtes) s’ il pouvait en mettre qu’une en page, je serai le + heureux du monde….j’ai possédé entre autre: guzzi california T3, 350 RD, 550 GT, deux 550 four et d’autres comme 1000 goldwing, 600 XLM…etc je suis un homme comblé par la vie, je relis souvent les tomes de JBT et je pleure de rire autant qu’avant, car j’ai vécu certaines de ces péripéties avec mes potes…..Cordialement….Christian